jeudi 8 octobre 2015

Niqab. Encore ?

Le débat social enflâmé est de retour ! Je décide ici de faire un exposé juridique sommaire, bien que relativement long. Je ne prétend pas détenir la vérité absolue sur la question, mais je soumet ces arguments à votre réflexion.

Dans une affaire précédante, la Cour Suprême devait statuer si un juge pouvait ordonner à une femme de se dévoiler pour témoigner devant la cour. Si la Cour confirme cette latitude, certains passages du jugement sont particulièrement éclairants :
Une mesure extrême, qui obligerait toujours, ou n’obligerait jamais, le témoin à enlever son niqab durant son témoignage serait indéfendable.  La solution consiste à trouver un équilibre juste et proportionnel entre la liberté de religion et l’équité du procès, eu égard à l’affaire particulière dont la cour est saisie.
Donc, la juge McLachlin affirme, avec l'accord des juges Deschamps, Fish et Cromwell, qu'une mesure unilatérale concernant le port du niqab pour un témoignage serait "indéfendable". De plus, dans le même paragraphe,
La personne appelée à témoigner qui souhaite, pour des motifs religieux sincères, porter le niqab pendant son témoignage dans une procédure criminelle sera obligée de l’enlever si deux conditions sont respectées : a) cette mesure est nécessaire pour écarter un risque sérieux que le procès soit inéquitable, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque; et b) les effets bénéfiques de l’obligation d’enlever le niqab sont plus importants que ses effets préjudiciables.
Même si ce jugement ne porte pas directement sur la question qui fait la une dans les débats politiques, certains aspects du jugement semblent particulièrement pertinents. Plus tard, les juges affirment que
Toutefois, ne jamais autoriser un témoin à porter un niqab pendant son témoignage ne respecterait pas le principe fondamental sous-tendant la Charte selon lequel les droits ne doivent être restreints que par une mesure dont la justification est démontrée.  La nécessité de respecter les croyances religieuses sincères et de les mettre en balance avec d’autres intérêts est profondément enracinée en droit canadien.
Toutefois, la dissidence de la juge Abela est particulièrement éclairante pour la cause qui nous intéresse ici, soit du port du voile intégral lors de l'assermentation.
Les tribunaux acceptent régulièrement les dépositions des témoins dont ils ne peuvent observer le comportement que partiellement et il existe nombre d’exemples où les tribunaux acceptent les dépositions de personnes qui ne peuvent témoigner dans des conditions idéales à cause d’un handicap visuel, oral ou auditif. (...)  Tous ces problèmes constituent des écarts par rapport aux circonstances idéales pour l’évaluation du comportement, mais aucun d’entre eux n’a été considéré comme rendant le témoin inhabile à témoigner au motif qu’ils portent atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable.  Les personnes qui portent un niqab ne devraient pas être traitées différemment.
Comment cette dissidence est-elle intéressante pour le cas qui nous intéresse ici ? Parce qu'elle rejoint en tout point l'opinion exprimée par le juge de première instance de l'affaire Ishaq c. Canada. Même si son jugement porte sur la valeur juridique d'une directive ministérielle allant à l'encontre d'un règlement administratif, il ajoute deux éléments intéressants :
[61]           En fait, comme il a été mentionné plus tôt, à cause de toute condition exigeant qu’un candidat à la citoyenneté soit réellement vu en train de prêter le serment, il serait impossible, non seulement pour une femme portant le niqab, mais aussi pour une personne muette ou un moine ayant fait vœu de silence, d’obtenir la citoyenneté.
 Suite à cette courte analyse, j'en revient à mes points exposés dans de (nombreux) billets précédants : le racisme culturel. S'il va de soi que l'on permette à une personne muette de porter le serment de citoyenneté, nous jugeons, en tant que culture dite moralement supérieure, que le port du niqab, quant à lui, devrait être proscrit. Toutefois, le juge conclue d'ailleurs, après l'étude de l'article 21 du Règlement, que c'est la signature d'un certificat certifiant la prestation du serment de citoyenneté qui constitue la seule preuve requise au sens de la Loi.

Malheureusement, cet argumentaire ne sera pas emmené en Cour Suprême, puisqu'il est ici question de la validité d'une directive ministérielle, et non du port du niqab en tant que tel.

mercredi 18 mars 2015

Grève étudiante : légale ou pas ?

Récemment, le malheureusement célèbre Jean François Morasse aurait déclaré que
« Jean-François Morasse a tenu à dire qu'il n'a rien contre les manifestations étudiantes, qu'il s'agit d'un droit, mais que les grèves étudiantes sont illégales, comme l'ont statué les tribunaux, a-t-il rappelé. » (source : Huffington Post)
Les tribunaux ont-ils réellement statué sur la légalité de la grève étudiante ? La question est légitime.

Rappelons qu'en 2012, un bon nombre d'injonctions interlocutoires provisoires ont forcé le retour en classe de certaines associations étudiantes en grève. Pour un néophyte, il semblerait en effet que les tribunaux ont interdit aux étudiants de faire la grève. Or, il en est tout autrement. En effet, selon le Réseau Juridique du Québec,  l'injonction provisoire ne demande qu'un apparence de droit, n'implique aucunement la partie adverse, et le juge ne se prononce pas sur la question de fonds. Il est donc erroné de penser que les tribunaux ont statué sur la légalité de la grève étudiante.

Nous sommes toujours dans un flou artistique, puisque ni la jurisprudence, ni la loi ne statue clairement sur le droit de grève des étudiants. Toutefois, je ne peux m'empêcher de faire le parallèle entre le mouvement "carré vert" et le "Right to work".

jeudi 5 mars 2015

Le racisme culturel : bis

Vous vous rappelez ce truc que j'ai écris, il y a longtemps, sur le racisme culturel ? Eh bien, je vous invite à lire ces commentaires que j'ai recensé, sur une pétition en appui à la juge Eliana Marengo, qui a récemment refusé d'entendre la cause d'une femme portant le hijab.

Commençons par le texte d'introduction de la pétition

Notons, entre autre, l'idée que "le port de ces types de vêtements est conforme aux principes de la charia si précieux aux intégristes islamistes et souvent financés par eux." . Bon, mis à part le fait qu'un hijab coûte à peu près 5$ dans n'importe quel Ardenne....

Entrons dans le vif des commentaires. Parce que ce genre de pétitions ne peut qu'appeler des commentaires joyeux, érudits, et remplis de bon sens.


Le «hijad» peut donc être porté par des hommes barbus, qui y cachent des bombes. Alors qu'on sait que le hijab montre le visage.... Mais bon, puisqu'on change hijab pour hijad, j'imagine que c'est maintenant un vêtement ample qui couvre le corps, tel un de skidoo.


Heureusement, forcer les gens à s'émanciper n'est pas nécessairement contradictoire.

J'ai cru bon de dépersonnaliser le commentaire, vu son niveau d'érudition. Et non, je ne suis pas celui qui a composé la réponse.

Parce que oui, le Bien être social est un montant d'argent versé mensuellement aux femmes pour qu'elles portent un hijab. Oui.

Je pourrais continuer pendant des heures, parce qu'il y a près de 1000 commentaires joints à cette pétition. Mais je vous pose cette question: comment ces commentaires sont-ils si loin du concept de racisme culturel que j'ai déjà exposé ? Nous jugeons, en tant que société occidentale « moralement supérieure », des coutumes, des pratiques culturelles, que nous jugeons comme inassimilables. Nous traitons, au nom de la laïcité, des musulmans de barbares à cause de leurs coutumes vestimentaires.

J'ai bien dit "des musulmans" et non "les musulmans". Parce que, l'islam, comme le judaisme, le catholicisme, ou le laicisme, connaît plusieurs tendances. Le racisme culturel correspond à l'idée de ne pas reconnaître les autres tendances comme légitimes, mais plutôt comme des barbares qui ne méritent pas les mêmes droits que les autres. Je ne vous parlais pas aussi, récemment, de la liberté de parole ?

dimanche 11 janvier 2015

Liberté d'expression, #Charlie et malaise

L'idée, ici, n'est pas de revenir sur les événements récents de Paris. Mais simplement soulever certains points qui m'empêchent de soutenir un mouvement comme #JeSuisCharlie. Encore une fois, je ne soutient pas ici ni les tueurs, ni la tuerie. Je soulève simplement certains malaises.

La liberté d'expression
Dès le départ, on affirme que l'acte, la tuerie de Paris, est une attaque directe sur la liberté d'expression, si chère à la France. Or, comment pouvons-nous affirmer que cette liberté est belle et bien si chère, alors que la France elle-même censure des humoristes comme Dieudonné ? Il ne s'agit pas ici de cautionner son humour, ou son style d'humour, mais simplement de questionner l'idée d'une liberté d'expression à géométrie variable.



L'histoire des caricatures
Certains médias ont décidé de publier intégralement les caricatures controversées, celles représentant le prophète. Or, lors de l'incendie des locaux de Charlie Hebdo, en 2011, tous les médias s'étaient entendus pour flouter ces caricatures. Encore une fois, parle-t-on de liberté d'expression à géométrie variable ? Ou de solidarité médiatique conditionnelle ?


 #JeSuisCharlie , la pire des hypocrisies
N'est-il pas un peu bizarre de voire le maire Denis Coderre affirmer qu'il est Charlie, et qu'il prône la liberté d'expression, alors même qu'il soutient le règlement P6, brimant cette liberté à ses propres citoyens ? 
Ou encore que Régis Labeaume se pose comme un défenseur de la liberté d'expression, alors qu'il peine à l'accorder à ses opposants dans les conseils municipaux, ou aux employés de la ville de Québec dans les négociations?
Ou finalement qu'on affirme haut et fort que nous sommes tous Charlie, mais qu'il faudrait du même souffle resserrer les frontières et fermer les mosquées ? Je ressent un profond malaise.


La marche, une autre affaire
Ce dimanche, les rues de Paris se sont remplies de citoyens et autres politiciens affirmant leur support à Charlie Hebdo et à la liberté d'expression. Certes, l'idée est louable. Toutefois....
Que vient y faire Erdogan, alors même qu'il n'hésite pas à emprisonner les opposants formulant quelconque critique du pouvoir ? Et c'est sans compter les nombreux journalistes, tel que rapporté par Reporter Sans Frontière en 2012, qui y sont emprisonnés.
Que vient y faire Benjamin Netanyaou, qui n'hésite pas à exercer une censure sur les opposants aux régime militariste d'Israel ?
Que vient y faire Steven Blaney, alors que son gouvernement n'hésite pas à exercer une ingérence politique dans les recherches scientifiques?
Et, ironiquement, des partis ayant appuyé le projet de loi 78, en 2012, brimant la liberté d'association, viennent manifester, à Québec, pour la liberté d'expression, au point d'en prendre une photo. 


Voila. Alors non, nous ne sommes pas tous Charlie. Vous n'êtes pas Charlie, non plus. Laissons les proches, la famille, les amis et collègues, ainsi que le monde de la caricature satirique faire son deuil. Mais n'allez pas les embêter avec votre relativisme indécent.


Addendum 
De plus, pour avoir une idée des chefs d'État et de leur représentants, présents à la manifestation de Paris, affichant leur appui à la liberté d'expression tout en ayant des attitudes plus que douteuses à l'intérieur même de leurs frontières, je vous suggère ce lien. L'utilisateur @DanielWickham93 en a fait, sur Twitter, une liste impressionnante, qui a été mise sur Storify.